Benoit, Florian <-> Florian, Benoit !
Bonjour, pourriez-vous présenter “l’autre” en quelques mots ?
Florian : Benoit était professeur d’Histoire. Enseigner, éduquer, il adorait. Les copies et les chefs d’établissement, beaucoup moins. Grâce au succès de son jeu Welcome to, il a pu intégrer à temps plein le monde du jeu de société. Auteur, chef de projet chez Blue Cocker, et président de la SAJ (Société des Auteurs de Jeux). Bref, de multiples casquettes pour sa grosse tête. Depuis, il a su s’entourer des meilleurs pour créer de nouveaux jeux : Prehistories, Number Drop, La Planche des Pirates…
Benoit : Florian était prof en SEGPA. Faire des sorties vélo, il adorait. Mais aussi être au chevet des élèves qui en ont le plus besoin. Grâce au succès de ses jeux After Us et La Planche des Pirates, il a pu rejoindre – enfin – son co-auteur préféré à plein temps dans le monde du jeu. Auteur, auteur et auteur, il a déjà beaucoup trop d’idées malgré sa grosse tête. C’est pourquoi il a eu besoin de quelqu’un d’expérience pour l’aider à créer de nouveaux jeux comme The Art Project…
Benoit, ça fait quoi de travailler avec Florian ?
En vrai, c’est chouette. On se complète plutôt très bien en terme de game design. Que ça soit sur un projet venant de moi ou de lui, on arrive toujours à faire avancer les jeux de manière efficace (la plupart du temps). On s’entend bien et on est souvent sur une temporalité assez proche (ce qui aide pas mal). On se comprend surtout. Parce que Flo non seulement sait ce que je vais dire ici (pour sa prochaine question) mais moi je sais déjà qu’il a arrêté de m’écouter parce que ça lui a donné une idée…
Florian, ça fait quoi de savoir exactement ce que Benoit va dire à la question précédente ?
Désolé, j’ai pas écouté, j’étais parti sur une idée…
Plus sérieusement (oui à un moment il faut faire un peu de pub), comment vous est venu l’idée de cette mécanique de “coopératif où la communication est essentielle” ?
Flo : Je voulais travailler sur un mélange de mécaniques qui, à ma connaissance, n’existait pas : du draft coopératif. Pour cela, j’ai introduit une contrainte pour les joueurs : gérer des ressources ensemble. Le jeu a rapidement évolué de Dungeon Draft (on se répartit des cartes armes pour combattre des monstres) à Egyptian Tales (on se repartit des missions pour piller les tombeaux des pharaons). C’est à ce moment-là que Benoit m’a rejoint sur le jeu. On l’a développé, toujours en gardant la force du jeu : la gestion de ressources coopérative. Benoit est à l’origine de l’idée et du développement des cartes alternatives (étonnamment la carte de base, l’Egypte, est devenue le Japon). Au final, nous avons ART Project. Au final, il n’y a plus de draft. Mais je garde l’idée pour un futur jeu ?
Benoit : Quand Flo m’a fait tester Dungeon Draft puis Egyptian Tales, le concept me plaisait déjà. Cette notion de gestion de ressources en coop avec une communication centrale tournait plutôt bien. Par contre, il manquait de l’incarnation, de la vie sur le plateau. C’est pourquoi la première chose que l’on a faite ensemble, ça a été de déplacer les combats des cartes vers le plateau, avec les ennemis incarnés sur celui-ci. Sans changer l’esprit du jeu, ça en a modifié assez radicalement l’expérience des joueurs en le rendant plus immersif. Derrière, j’ai fait en effet pas mal de dév pour apporter cette fameuse “rejouabilité” en créant ces aventures alternatives qui font jouer différemment en se focalisant sur un petit twist mécanique.
Un thème fort était-il essentiel pour un jeu comme celui-ci ?
Benoit : Non, un thème n’est que rarement essentiel dans notre travail, surtout en Europe. Le cœur du jeu est mécanique, c’est un jeu de gestion de ressources en coopératif où la communication est essentielle. On aurait mis un thème de Gobelins qui sont dans une mine et qui essaient de récupérer des trésors face à leurs ennemis nains, ça aurait aussi fonctionné (ndlr : c’était le thème de prédilection de Flo pour ses débuts de protos).
Mais un thème est important à plusieurs titres quand même, même dans un “euro-games”. D’abord, dans la phase de game design, il apporte son lot d’idées. Passer d’un thème “Indiana Jones” à un thème “Agence tout risque” nous a permis de réfléchir dans d’autres directions, en termes de combat, de déplacement,… Et ensuite, dans la phase d’édition, avoir un thème logique et cohérent, ça permet aussi d’expliquer les règles plus facilement, plus thématiquement, à condition d’avoir réussi à fusionner méca et thème lors de la rédaction de règles.
Enfin, d’un point de vue “marketing”, il est essentiel d’avoir un thème porteur, soutenu par des illustrations (de dingue de Vincent Dutrait) car ça crée un univers dans lequel les joueurs peuvent se projeter, et qui peut le démarquer du reste de la production ludique.
Donc, non et oui… 😉
Vous rappelez-vous un moment marquant au cours duquel tout s’est imbriqué lors du développement ?
Benoit : : C’était quand Flo ne m’a pas écouté…
En vrai, il y a eu probablement 3 moments clés dans l’histoire du jeu : la création du concept par Flo, la remise à plat et la “mise sur plateau” à mon arrivée sur le projet, et un épisode de développement avec Antoine, notre éditeur. Lors d’une séance de travail, on se rend compte qu’il ne jouait pas avec les mêmes règles que nous, sur un point précis de l’organisation du tour. Et comme cela changeait assez fortement l’accessibilité du jeu, on a passé beaucoup de temps en test pour vérifier toutes les implications de ce changement, et au final, on l’a validé car il rendait le jeu plus dynamique et plus simple à jouer, sans enlever au coeur du jeu. Comme quoi les erreurs d’interprétation amène parfois de bonnes surprises…
Enfin, soyons fous, quelle serait la suite de The ART Project si vous deviez l’imaginer dès aujourd’hui ?
Flo : Aucune idée. Pour m’aventurer sur la suite d’un jeu, j’aime bien avoir d’abord le retour des joueurs. Savoir ce qui leur a plu, ce qui a manqué à leur expérience de jeu… Je pense qu’on pourrait facilement développer de nouveaux plateaux, mais ce n’est pas forcément ce qui sera le plus attendu par les joueurs. A suivre…
Benoit : la particularité de Art Project, c’est qu’on a déjà amplement exploré l’espace de game design en prenant le temps de créer 6 aventures différentes. L’idée était d’être généreux dans la proposition ludique et d’apporter des sensations différentes dans le même système. Et donc, ça semble difficile d’envisager en l’état une suite à The ART Project, du moins d’un point de vue mécanique. Par contre, rien ne nous empêche de pousser l’histoire plus loin, sur une vengeance de la Main Blanche, sur un épisode particulier de sauvetage de la Art Rescue Team, comme un “gros plan” avec un système mécanique totalement différent. (et là, Flo ne m’écoute plus… rdv vous dans 2 ans… 😉 )