Qui est derrière Fil Rouge ?

Julien et Tom, les Auteurs de Fil Rouge, reviennent sur différents aspects de la naissance du jeu.
12 juillet 2024
Lecture 10 min

Dans le monde du jeu de société, en tant qu’éditeur, chaque projet est une aventure unique. Parfois, les propositions qui nous arrivent sont attendues, parfaitement en ligne avec nos plans et nos attentes. Tout simplement, parce qu’une autrice, un auteur, connait notre ligne éditoriale. Vise juste. Mais il y a ces moments spéciaux, ces rencontres imprévues, qu’on a pas vu venir, qui bouleversent notre quotidien et nous rappellent pourquoi nous avons choisi cette voie.

Ces projets inattendus commencent souvent par une simple rencontre, au café de l’horloge, les meilleures. Ces instants précieux sont le cœur battant de notre métier. Ils nous rappellent que derrière chaque jeu, il y a des personnes avec des rêves, des histoires et une passion débordante. Du moins, c’est comme ça que nous voyons les choses.

Il y a quelques temps, j’ai rencontré Julien dont le jeu, qu’il a créé avec son frère, nous a littéralement transporté. L’idée, bien que simple au premier abord, était porteuse d’une profondeur et d’une originalité qui nous ont marqués. Ce jeu, que nous n’avions pas vu venir, a su nous captiver, captiver les joueurs, créer des souvenirs.

Ce sont ces moments de surprise, ces découvertes inattendues, qui rendent notre travail si enrichissant. Ils nous poussent à rester ouverts, à écouter, à explorer des voies nouvelles, l’humain… et à prendre des risques. Merci Julien. Merci Tom…

Antoine – Un bûcheron…

De « Une Vie » à « Fil Rouge »…

Pouvez-vous nous raconter le moment précis où l’idée de Fil Rouge est née ?

TP : On a toujours eu des projets créatifs avec Julien, là on avait décidé de bosser sur un jeu. Il voulait un jeu qui génère des émotions, il m’en parlait comme le Graal. L’objectif pour moi était d’écrire un scénario pour une mécanique de jeu à 2 joueurs, l’un devait parler, l’autre rester muet.
Ce projet vivotait depuis 4 ou 5 ans lorsque Julien m’a proposé qu’on se retrouve chez moi pour essayer d’avancer un peu. Une histoire en tête, j’avais réalisé quelques croquis, mais les tests ne se sont pas révélés concluants.
À ce moment-là, on est déçu, un peu irrité même. Julien pensait que je ne devais pas m’accrocher, que c’était ça, entre autres, le travail d’auteur de jeux.
Empiriquement, il avait plutôt raison je pense, mais j’aimais cette histoire, je ne voulais pas la lâcher. J’imagine l’adapter en BD… Je lui ai dit quelque chose comme : « T’aurais pas une mécanique qui puisse prendre soin de cette histoire, quelque chose avec juste des images, sans texte, dans l’épure ? »
Je vois dans son visage qu’il commence doucement à se remettre au travail. Je pense que c’est là, au moment où la vapeur se renverse, qu’est né Fil Rouge. Au moment où on met le jeu au service d’un scénario.

Quelles émotions espérez-vous susciter chez les joueurs à travers ce jeu ?

TP : Si le jeu marche bien, à long terme, toutes. Potentiellement, il n’y a pas de limite. La question que je me pose c’est plutôt : au service de quoi ?

JP : On espère effectivement susciter des émotions à travers ce jeu, mais il est difficile d’en parler parce qu’une émotion, ça ne se décrète pas. Et même au contraire, ça a tendance à disparaître si c’est attendu.
Néanmoins, la particularité de l’art ludique est de placer les joueurs en situation de spectateurs et d’acteurs en même temps. Ça me semble être un très bon dispositif pour susciter de l’émotion. En espérant qu’avec Fil Rouge, nous ayons un peu réussi cela.

Question suivante du coup 🙂

Utiliser l’image et non le texte était présent dès le début ?

TP : Non, au début, le jeu se déroulait en 2 phases, une avec une image et ensuite, selon les réponses, ça ouvrait sur une série de cartes constituées seulement de textes qu’il fallait replacer dans le bon ordre.
Tout au long de la création, la question est revenue, c’était un point sur lequel je ne voulais pas transiger.
Par ailleurs, à mes heures perdues, je travaillais sur un scénario de bande dessinée et je peinais avec les dialogues. J’avais toujours l’impression qu’ils réduisaient l’intensité de la scène. Je cherchais donc des formes plus illustrées de narration. Je lisais alors du Sergio Toppi, « Le Voyage de Shuna » de Miyazaki, et bien sûr « Là où vont nos pères » de Shaun Tan qui m’a beaucoup inspiré.

JP : Dès qu’on a trouvé l’idée de la timeline narrative, on s’est dit que ce serait plus intéressant que les joueurs communiquent uniquement par l’image.
On s’est effectivement rendu compte que cela donnait l’occasion aux joueurs d’interpréter à leur guise. Ça donnait davantage d’immersion, d’empathie vis-à-vis des personnages de l’histoire.
Dans le développement final, Tom a toujours beaucoup insisté pour ne pas déroger à cette règle, notamment sur les éventuelles cartes finales. C’est ce qui nous a amené à proposer un site sur lequel on a recueilli les paroles des joueurs. Je trouve cela très fort comme cela. Merci à lui.

Processus Créatif

Julien, quel a été le plus grand défi en tant qu’auteur de jeux de société pour ce projet ?

Je crois que mon plus grand défi sur ce projet reste d’actualité.
C’est trouver ma juste place d’auteur dans cette gamme qui s’annonce. Comment accompagner au mieux notre création, tout en l’ouvrant à des raconteurs d’histoires variés ?
Comment y consacrer toute l’énergie dont le projet a besoin, dont je suis tellement fier, sans m’y perdre au détriment de mes autres projets, de ma vie personnelle ?
Comment interagir sainement avec mon frère co-auteur, mon éditeur, mes différents partenaires sans m’oublier ?
Pour l’instant, je trouve que je relève plutôt bien le défi, mes partenaires sont également pleinement à la hauteur. Et il faut à mon sens continuer à y porter attention.

Tom, ça fait quoi de se mettre dans la peau d’un auteur de jeu de société ?

J’ai le sentiment de ne m’être mis que partiellement dans la peau d’un créateur de jeux. J’ai bien sûr contribué à toutes les étapes, mais je dirais que mon rôle a été d’hybrider ce processus créatif. Mes partenaires dans cette aventure sont déjà très expérimentés, mon apport a été, je pense, de ne pas avoir les automatismes du milieu.
En tant que graphiste et illustrateur, je dois souvent défendre une charte graphique, une intention, une direction artistique et c’est ce que j’ai fait ici. En tout cas, l’expérience a été très agréable, surtout que Julien nous a ouvert grand les portes de son monde, m’a fait profiter de toute son analyse, son réseau, avec beaucoup de bienveillance.

Emotion(s) !

Le jeu aborde des thèmes forts comme l’exil et les souvenirs traumatiques. Pourquoi ces thèmes en particulier pour un premier opus ?

TP : La mécanique originelle demandait qu’un des joueurs soit muet et j’ai imaginé un trauma pour expliquer cela. Ma femme est psychologue, je l’ai beaucoup consultée lors de l’écriture du scénario et puis avec Julien, on aime bien quand ça parle des mécanismes humains, de la complexité.

JP : Ce thème est assez universel. Je trouve qu’il permet à chacun de se mettre à la place d’une personne ayant un autre parcours de vie que le sien.
Je trouve que le thème est particulièrement empathique. Merci énormément à Tom pour cela !

Avez-vous des anecdotes ou des moments marquants pendant la création du jeu qui illustrent le fait que c’est un jeu “pas comme les autres” ?

TP : On nous a beaucoup dit que ce n’était pas un jeu, je pense que c’est un bon marqueur du côté « pas comme les autres ».
On a beaucoup d’anecdotes de parties, des moments précieux autour d’une table. L’équipe de Blackrock nous en a témoigné une super ; Thomas, le testeur, en a beaucoup aussi. Mais c’est difficile d’en parler sans spoiler.
Et puis, j’aime bien l’idée que chaque joueur arrive sans trop d’attente dans sa partie, donc je n’en dirai pas plus.

JP : Je dirai la même chose que Tom. Oui, j’aurai des anecdotes à raconter pour parler de la singularité du jeu mais je ne crois pas pertinent de les raconter maintenant en amont d’y avoir joué. Ce serait obliger les joueurs à vivre quelque chose alors que le jeu est un espace de liberté.

Comment espérez-vous que le jeu impacte les relations entre les joueurs ?

TP : Déjà, c’est un jeu qui mécaniquement, demande une écoute, c’est un bon point de départ. Après, dans l’idéal, j’espère que les joueurs vont parler de ce qu’ils ressentent, un peu comme après être allés au cinéma mais directement pendant qu’ils retracent l’histoire. Apprendre à comprendre l’interprétation de l’autre, échanger sur notre subjectivité.

JP : Dans mes jeux, j’ai toujours cherché à donner à vivre aux joueurs une relation positive entre eux, c’est-à-dire une relation qui leur permette d’imaginer l’autre intelligent.
Ce jeu ne fait pas exception, bien au contraire.
C’est un jeu où chacun va devoir faire preuve d’interprétation de l’histoire, où il va falloir à la fois être force de proposition et écouter les points de vue des autres.
Émettre des hypothèses par rapport aux cartes que l’on a en main tout en étant capable de les reconsidérer.
Expérimenter cela dans le jeu, c’est une première étape possible pour voir qu’un sujet est souvent complexe, qu’il y a différents points de vue, que les choses ne se résument pas facilement en réalité.

Fraternité et Collaboration

En quoi votre relation de frères influence-t-elle votre travail ensemble ?

JP : Notre relation de frères est forte. Tom et moi avons grandi avec le même groupe d’amis, nous étions beaucoup ensemble, de notre petite enfance jusqu’à notre vie d’adultes. C’est autant un ami qu’un frère pour moi.
C’est effectivement particulier pour notre travail ensemble.
Je dirai que cela nous permet de nous dire tout. D’aller le plus loin possible sur ce projet. Mais dans le même temps, cette posture nous demande de l’exigence, du temps, de l’écoute. Et c’est assez fatiguant… mais aussi très enrichissant.

TP : On se connaît vraiment bien et on ne se cache pas du tout nos questions, nos doutes, nos incompréhensions. Il y a quelques fois des rapports de force moins déguisés que dans d’autres relations de travail classiques. C’est une flamme qui brille intensément.

Avenir

Voyez-vous Fil Rouge comme le début d’une série ou d’un univers plus large ?

JP : Si cela se passe comme nous l’espérons, l’idée est d’en faire une gamme avec une grande variété de sujets abordés.
Donc plutôt un univers plus large.
Néanmoins, je pense qu’il est nécessaire d’avoir une ligne éditoriale propre à cette gamme et avec notre éditeur, nous commençons à travailler à la cohérence d’ensemble. Large mais avec un « fil » conducteur. 😉

TP : On a un peu réfléchi à ça, mais c’est un peu prématuré pour savoir ce que ce projet va devenir. Une ligne éditoriale se dessine pas à pas. On parle pas mal de nos intentions plus que de sujets précis.

Quels conseils donneriez-vous à d’autres créateurs souhaitant mêler narration et jeu de société ?

TP : Je sais pas si c’est un conseil, je dirai que moi ce que j’aime en tant que joueur et auteur, c’est une expérience qui vibre de sincérité, quelque chose de singulier. Non pas un nouveau concept, mais quelque chose qui vient de l’intime, que ce soit drôle, triste, léger ou dramatique.

JP : Je crois que le plus important est de considérer le jeu comme un moyen de faire passer une histoire et non une fin en soi.
Lorsqu’un auteur de cinéma fait un film, il ne se dit pas tiens je vais faire un travelling avant parce que je trouve cela cool. Il se dit que ce mécanisme d’images va permettre telle ou telle chose, que cela va susciter telle ou telle émotion chez le spectateur.
C’est la même chose pour moi dans le jeu.
On peut avoir une très bonne idée mécanique et ne pas comprendre comment le (tu as mis le mais c’est pas la ?) mettre au service d’une histoire pertinente.
Mais l’inverse est aussi vrai.
On peut avoir une très chouette histoire à faire vivre et ne pas trouver la bonne manière de la faire partager.
Il faut donc tâcher de comprendre comment notre idée de règles est intrinsèquement liée à l’histoire que l’on veut raconter.

Quelles sont vos aspirations pour l’avenir, tant individuellement que professionnellement ?

TP : Professionnellement, en illustration j’ai tellement de choses que j’aimerais peaufiner j’en ai pour jusqu’à mes vieux jours je pense. Là, la grande nouveauté, c’est que j’ai renoué avec la narration, j’aime vraiment ça et faire ça avec un éditeur comme Antoine est une sacrée aubaine. Si je le peux, je vais explorer cet aspect-là. Pour le reste, vivre heureux entouré des gens que j’aime… Ah si ! finir mon mur en pierre sèche.

JP : Professionnellement, j’aspire à un peu plus de sérénité. Cela va bientôt faire 10 ans que je suis auteur de jeux et j’aimerais pouvoir encore plus prendre le temps de faire bien les choses, sans avoir des tas de projets à faire vivre en parallèle.
C’est dû à la précarité de notre statut mais aussi à ma difficulté à dire non à des sollicitations de co-création et à ma hantise de lâcher une idée de jeu qui me plaît.
J’espère grandir sur ces sujets-là.
En titre plus personnel, je suis en train de mettre en place avec ma femme et des amis un lieu d’habitats partagés. Les choses sont pas mal en branle en ce moment. J’aspire aussi à un peu plus de sérénité sur ce sujet-là.

# De quelque côté que le vent vente !
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